Loi Relative aux Libertés et Responsabilités des Universités :
Analyse d’une réforme dangereuse...
Le 10 août dernier a été votée au parlement la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (LRU). Cette loi a été élaborée sans réelle concertation démocratique avec l’ensemble de la communauté universitaire. Pour éviter tout mouvement de contestation, le gouvernement l’a fait passer en marche rapide pendant les vacances, en l’absence des étudiants, enseignants et personnels IATOSS. Suivant le calendrier fixé cette loi serait appliquée dès la rentrée prochaine.Cette réforme, considérée par Nicolas Sarkozy comme « la plus importante de son quinquennat », transforme en profondeur l’Université telle que nous la connaissons. Il nous semble nécessaire, à nous, étudiants, de nous informer et de nous interroger sur les différents effets que cette loi aura sur nos conditions d’étude. Après une étude détaillée de cette loi, nous sommes en mesure de vous en proposer une synthèse. Nous allons donc résumer ce que change cette loi concernant la gouvernance de l’Université, sa gestion financière et l’enseignement qui y est prodigué, puis nous essayerons de resituer la LRU dans le contexte particulier dans lequel nous sommes. Précisons que nous ne prétendons nullement détenir la vérité absolue, nous pensons juste que les étudiants, enseignants et personnels doivent se réapproprier les questions de société qui les concernent directement. Voici donc un élément de plus pour se faire un avis sur cette loi LRU.I) La gouvernance des Universités :L’organisation actuelle des universités a été définie en 1984 par la loi Savary.
Depuis, l’Université comprend :
-
un Président élu pour 5 ans qui exerce des compétences de direction et de représentation.
-
un Conseil d’Administration (CA) au pouvoir de décision, qui fixe la politique de l’établissement, notamment en matière de budget ou encore de modalités d’examens.
-
un Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire (CEVU, qui s’occupe de tout ce qui concerne la pédagogie, l’enseignement, la vie étudiante) et
un Conseil Scientifique (CS, qui s’occupe de tout ce qui a trait à la recherche), qui sont tous les deux des organes de proposition. La LRU va modifier en profondeur ce fonctionnement.
a) Le président :Avec cette nouvelle loi, le président va disposer de pouvoirs et de compétences accrus. Son mode de désignation change également.
-Aujourd’hui, il est
élu à la majorité absolue par l’ensemble des membres des 3 conseils (soit entre 70 et 140 personnes). Si la LRU est appliquée le président pourra être élu seulement
par la majorité absolue des membres élus du CA (soit de 13 à 22 personnes).
-Son mandat était jusqu’à maintenant de
5 ans. Il passe maintenant à
4 ans, mais devient
renouvelable une fois.
-Avant la loi, le président était forcément élu parmi les enseignants-chercheurs, avec la LRU,
n’importe quel personnel assimilé à l’intérieur ou en dehors de l’établissement
pourra prétendre au poste, c’est à dire aussi bien un avocat d’affaire dispensant quelques cours à la fac de droit qu’un cadre d’entreprise faisant partie de l’équipe de formation d’une fondation financée par le privé.
-Avec la LRU, le président dispose de
compétences élargies en matière de gestion et d’administration. C’est entre autre le cas en ce qui concerne la gestion du personnel. Le président possédera notamment un
droit de veto sur les affectations.
Nous aurons donc un président élu par moins de personnes et potentiellement pour plus longtemps. Ce président sera élu parmi des personnes qui n’ont pas forcément de compétences reconnues en matière de pédagogie et qui peuvent venir du monde de l’entreprise. Ce président disposera de compétences élargies à rapprocher de celles d’un chef d’entreprise. Moins de démocratie, donc, mais un esprit d’entreprise qui rentre par la grande porte à l’Université.b) Les conseils centraux :Le conseil d’Administration de la fac quant à lui, voit
le nombre de ses membres restreint. Alors qu’avant il était composé de 30 à 60 membres (60 à Tours), il n’y en aura plus que 20 à 30 en fonction des Universités. En proportion, on trouve
moins de membres élus, et notamment moins d’étudiants et de personnels IATOSS (voir tableau).
A l’inverse,
la part de personnalités extérieures à l’Université (non élues) augmente considérablement. Ces personnalités seront nommées par le président parmi les acteurs du monde économique, notamment parmi les chefs d’entreprise. Mais surtout, ces personnalités extérieures obtiennent le droit de vote dans le CA, au même titre que les membres élus par la communauté universitaire. Avec la LRU,
les acteurs de l’Université voient donc leur pouvoir s’affaiblir au profit de personnalités extérieures d’avantage préoccupées par leurs intérêts que par la démocratisation de l’enseignement supérieur. De plus, cette mesure permet au président de s’assurer un soutien confortable. En effet, comme les personnalités extérieures sont nommées par le président, on voit mal pourquoi elles iraient voter contre ses avis, échange de bons procédés oblige…
Si les enseignants-chercheurs restent présents plus ou moins dans les mêmes proportions, leur mode de scrutin est modifié. La liste majoritaire obtient d’office 50% des places, la proportionnelle ne s’appliquant plus que pour les autres listes.
Ainsi,
les minorités actives voient leur pouvoir diminuer au profit d’une majorité aux ordres du président. L’opposition interne est réduite à peau de chagrin.
Composition du CA :Etudiants actuellement: de 20 à 25 % avec la LRU : de 10,7 à 22,7 %
IATOSS actuellement: de 10 à 15 % avec la LRU : de 6,9 à 14,3 %
Enseignants actuellement: de 40 à 45 % avec la LRU : de 33,3 à 53,8 %
Personnalités extérieures actuellement: de 20 à 30 %, avec la LRU : de 24,1 à 38,1 %
Mais le CA voit également son
pouvoir réduit au profit du président. Ainsi, certaines décisions, poursuites judiciaires, modalités d’examens par exemple, nécessitaient jusqu’à présent l’aval du CA ; avec la LRU, le président pourra passer outre et décider seul. Mais même les décisions qui restent dans les compétences du CA seront orientées. En effet, les décisions seront nécessairement prises sur proposition du président. Enfin, si le CA n’arrive pas à trancher sur une question, le président aura voix prépondérante.
On voit donc que le conseil d’administration est réduit, composé de moins d’étudiants et personnels élus au profit d’ « acteurs du monde économique » nommés. Ses pouvoirs sont considérablement réduits et tout est fait pour qu’en toutes circonstances il donne son accord au président de l’Université.Mais si le CA voit ses pouvoirs réduits, les autres conseils,
CEVU et CS ne servent carrément plus à rien. En effet, alors que leur rôle jusqu’à maintenant était de faire des propositions concernant leurs domaines de compétence,
ils deviennent avec la LRU purement consultatifs, c’est à dire que le Président et le CA leur demanderont leur avis mais ne seront pas du tout obligés d’en tenir compte. Ces conseils deviennent ainsi de simples cercles de discussion. C’est d’autant plus dommage que ces conseils, de par leur composition, étaient certainement ceux qui reflétaient le plus la volonté des étudiants et des enseignants-chercheurs, les plus démocratiques.
Cette loi modifie donc en profondeur la gouvernance des universités : en renforçant le rôle du président au détriment des élus étudiants et personnels, elle fait encore reculer la démocratie universitaire. De plus, elle fait rentrer l’entreprise dans les instances décisionnelles, condition sine qua non à la privatisation de l’Université.II) Gestion et Financement :Si la gouvernance des Universités est modifiée, tout ce qui a trait à la gestion financière est également profondément bouleversé par la LRU.Jusqu’à présent, l’Université était financée par :
-Une
dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l’Etat, calculée en fonction de critères pédagogiques (nombre d’étudiants, besoin en personnel, coût représenté par l’étudiant…). Cette DGF représentait entre 50 et 60% du budget de la fac
-Un
contrat quadriennal lié aux objectifs de l’établissement et à l’appréciation des formations proposées. Cela représente entre 5 et 10% du budget
-Des
ressources propres : les frais d’inscription versés par les étudiants (5% du budget)
-Des
subventions (10 à 15%) et des
ressources privées (taxe d’apprentissage).
La LRU met en avant le principe de
financement par contrat, sur projet d’établissement. C’est à dire qu’il faut s’attendre à ce que les Universités soient de moins en moins financées en fonction de leurs besoins ; le montant des crédits sera soumis à l’appréciation du contrat par l’Etat, ce qui conduit à une
inégalité entre les Universités. Une Université dont le projet ne conviendra pas à l’Etat sera contrainte de chercher d’autres financements (augmentation des frais d’inscription) ou de faire des économies (moins de personnel d’encadrement, suppression de filières)